Revue internationale de référence en formation des adultes fondée en 1969.

N°193

2012-4
L’alternance : du discours à l’épreuve

10,00 

Jeanne SCHNEIDER

Les conditions de développement de l’alternance

Les formations en alternance ont du mal à se développer en France. Elles font l’objet de critiques souvent justifiées de la part des acteurs de terrain confrontés à de nombreux dysfonctionnements. De la critique au rejet, il n’y a pas loin, avec le risque de passer à côté de propositions qui pourraient se transformer, sinon en solutions, du moins en pistes de réflexion fécondes. Est-ce l’alternance elle-même qui est à remettre en cause ou bien les conditions de son développement dans un modèle prégnant de l’éducation et de la formation centré sur la transmission des savoirs formels et la course au diplôme ? Penser l’alternance en France oblige sans doute à renouveler en profondeur le regard porté sur un système en crise…

 

Francis TILMAN

Les discours analytique et normatif sur l’alternance

De quoi parle-t-on quand on parle d’alternance ? Ce mot-valise véhicule une grande variété de sens. Pour certains, il s’agit de saisir une réalité de formation ; pour d’autres de façonner une réalité de formation selon leurs intentions. Cet article propose une typologie des discours sur l’alternance. Elle classe ceux-ci en fonction de leur visée qui peut être analytique (décrire ce qui est) ou normative (décrire un idéal souhaitable). Chacun de ces axes caractérise les dispositifs qu’il couvre, les conceptions de l’apprentissage sous-jacentes ainsi que l’idéologie qui inspire ces deux premiers points. L’analyse de ces discours repose sur de travaux menés en Belgique francophone.

 

Marc DURAND

L’alternance : une métaphore prometteuse d’innovation sociale et éducative

Bien plus qu’un dispositif de formation professionnelle, l’alternance est analysée ici comme une métaphore féconde ouvrant sur une mise en question des présupposés sociologiques, épistémologiques et théoriques, qui dominent aujourd’hui la pensée de l’éducation et fonctionnent comme des « allant-de-soi ».  Elle appelle au dépassement de pesanteurs conceptuelles et pratiques fortement ressenties par les formateurs, apprentis et chercheurs, qui sont liées à une épistémologie dualiste ou bipolaire, une difficulté à capter le caractère dynamique et incertain du monde social, et une impuissance à rendre compte des dynamismes et des rapports entre savoirs et action posés comme des entités distinctes et de nature différente. Il est argumenté qu’une approche du travail, de l’apprentissage et de la formation prenant pour objet l’activité des acteurs, représente un candidat heuristique pour dépasser ces difficultés conceptuelles et pratiques, et alimenter une pensée large et ambitieuse de l’éducation.

 

Jean CLÉNET

L’alternance éducative : tensions et développements

En France, les expériences multiples de l’alternance n’en font pas un modèle original. Pourtant, l’alternance a fait ses preuves et la demande est là. Malgré des conceptions divergentes et de fortes tensions, il existe de belles réussites. Étudier ce paradoxe peut aider à comprendre l’alternance et développer sa qualité. Des expériences montrent que l’alternance soutenue politiquement et conçue localement progresse. La reproduction de modèles venus d’ailleurs n’y suffit pas.

 

Patrick MAYEN

Questions d’apprentissage dans les formations par alternance

Cet article propose de repartir des connaissances que nous avons sur quelques conditions et processus d’apprentissage pour réfléchir à la manière dont on pourrait penser la conception, la conduite et l’amélioration des formations par alternance. L’hypothèse est ici que les questions d’apprentissage sont relativement secondaires dans les décisions de conception des formations par alternance d’une part, et supposées résolues par quelques conceptions courantes et peu réinterrogées d’autre part.

 

Paul OLRY, Claire MASSON

Du travail au travail pour apprendre

Cette contribution s’appuie sur un constat observé dans les contributions à la conférence de consensus : l’absence du travail auquel on prépare les alternants. Le travail, c’est d’abord l’affaire de l’alternant, puisqu’on le représente différemment dans l’organisme de formation et dans l’entreprise. C’est ensuite l’affaire des formateurs et des tuteurs qui, en tant que concepteurs/utilisateurs de dispositifs, ont à faire face aux conflits de description, d’explication et d’interprétation, qu’impose la confrontation des deux mondes. Enfin, prendre en considération le travail dans l’alternance, c’est aussi penser, dans cette perspective, la position d’apprenti, la qualité du travail et la possibilité d’apprentissage à réaliser, les aménagements à consentir pour apprendre en formation, notamment en termes de conception.

 

Laurent VEILLARD

Alternance entre contextes d’apprentissage : une approche didactique

L’auteur discute de l’opposition entre apprentissage par transmission intentionnelle en milieu scolaire et apprentissage informel en situation de travail, qui serait constitutive des dispositifs en alternance. À partir de différentes recherches qualitatives menées sur des apprenants, l’article montre que cette opposition est largement réductrice. Elle masque une variété beaucoup plus grande des contextes d’apprentissage. Il apparaît ainsi que des processus didactiques sont au cœur des apprentissages en situation de travail, ou que l’expérience en institution de formation est plurielle, en raison des différences importantes entre les enseignements disciplinaires et/ou les situations interdisciplinaires. Est ici questionnée la fécondité du concept d’alternance école/travail dans une perspective de recherche didactique, élargie à l’alternance entre différents contextes d’apprentissage.

 

Joseph PIRSON

L’alternance travail et formation : des espaces transitionnels négociés ?

L’article montre comment la dynamique d’alternance s’inscrit dans une culture sociétale et dans des systèmes de coopération conflictuelle. Cette culture évolue, et les acteurs institutionnels ne sont pas soumis à un déterminisme complet des modes d’action collective. La réussite de l’alternance suppose l’expérimentation positive des changements chez les différents partenaires et la reconnaissance d’espaces dans lesquels s’opère la transition professionnelle. Or, dans le contexte actuel de mutation d’un ensemble de métiers, les mesures d’emploi peuvent occulter la réflexion nécessaire sur les rapports entre travail et emploi, et entre tradition et innovation. D’où la nécessité de systèmes démocratiques d’évaluation, de régulation et de décision.

 

Noël DENOYEL

Alternance dialogique et épistémologie de la continuité expérientielle »

S’appuyant sur un parcours d’acteur de l’alternance, l’auteur s’attache à montrer l’importance anthropologique qu’offre une pédagogie de l’alternance en accompagnant dialogiquement « habitude d’agir et habitude de penser ». Tout l’intérêt éducatif de l’alternance est basé sur l’articulation pédagogique de logiques différentes qu’il s’agit d’accompagner pour qu’elles soient pleinement formatives. Ainsi, cette « fonction polémique » accompagnée peut générer une compétence interrogative et délibérative, vectrice de qualité et de bien-être au travail. Se référant à la sémiotique de Peirce, une réflexion sur les modes de raisonnement dans l’apprentissage par alternance a permis de formaliser une pragmatique de trois raisons : sensible, expérientielle et formelle. Cette épistémologie ouverte rend possible l’accompagnement de la « continuité expérientielle » (Dewey) des alternants.

 

Philippe ASTIER

Devenir magistrat. Alternance et genèse des compétences

L’alternance procède par création d’un espace de rencontres et de confrontations entre différents modèles du travail. Cela introduit les novices à des dilemmes dont ils se dégagent pour élaborer leur propre manière d’agir. Il faut toutefois qu’ils puissent aller au bout de leurs actes pour situer la place et la tâche qui sont les leurs, ce qui exige du tuteur non seulement intervention mais retenue. Cet espace, institué par l’ingénierie des dispositifs, est maintenu par les acteurs afin de protéger autant l’apprentissage du novice que la richesse du métier et la fiabilité des organisations.

 

Béatrice TIRA

Piloter l’alternance

Dans un centre de formation d’apprentis, il y a au moins deux façons de considérer l’alternance : celle qui se construit entre l’apprenant et le tuteur (le CFA n’étant qu’une variable d’ajustement) ; celle qui se construit entre le formateur et l’apprenti (avec un ajustement éventuel de l’entreprise dans sa fonction tutorale ou d’accompagnement). S’agit-il d’un choix idéologique, d’un présupposé organisationnel ou simplement d’une question de circonstance ? Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, l’apprenti semble être le seul porteur de cette interface des deux pôles, en dépit de tous les outils qui existent.

 

Grégoire EVÉQUOZ

L’apprentissage dual en Suisse : pourquoi ça marche ?

Après une clarification des notions d’alternance et de formation duale, l’auteur met en évidence quelques points forts du système de la formation professionnelle suisse, et particulièrement les liens qui lient la théorie et la pratique, l’implication très forte des milieux professionnels, le bénéfice de la formation pour les entreprises, ainsi que les différentes tâches qui doivent être assurées par les partenaires de la formation professionnelle, aux niveaux national et régional.

 

Anne-Catherine OUDART

La formalisation de l’expérience au risque de l’alternance

Dans de nombreux dispositifs en alternance, l’écriture est considérée comme un instrument d’appropriation du métier. Apprendre de l’expérience et formaliser cette dernière dans un écrit structuré (mémoire professionnel, rapport de stage, etc.) serait une façon efficace de se professionnaliser. Qu’en est-il vraiment ? En s’appuyant sur des témoignages et des observations, l’auteure montre comment la formalisation de l’expérience peut être fragilisée, risquée, empêchée, par les mises en tension que génère la situation d’alternance. L’article s’intéresse aux difficultés rencontrées par les alternants dans leur posture de témoin et d’acteur d’une expérience professionnelle précoce. La formalisation de l’expérience est plus que la simple mise en mots d’une situation vécue, c’est une prise de risque personnelle et professionnelle.

 

Anne-Lise ULMANN

L’alternance à l’université à l’épreuve de ses limites

Les formations en alternance permettent une confrontation aux situations réelles de travail et offrent aux jeunes la possibilité de se former tout en continuant leurs études universitaires. Il n’en demeure pas moins que ce dispositif pédagogique intéressant est souvent difficile à mettre en œuvre. L’article montre que le travail appris en grandeur réelle par les apprentis comporte des dimensions insues, qui questionnent l’alternance non pas dans ses fonctions d’apprentissage mais dans son usage systématique, sous-estimant parfois la situation de ces étudiants et les conditions de travail qui leur sont proposées.

 

Emmanuel TRIBY

Alternance et territoire : une économie en construction

Analyser les rapports entre alternance et territoire, c’est chercher à identifier l’économie même de l’alternance : interroger les intentions et les conceptions qui président à l’élaboration de ce dispositif, et surtout comprendre ce qui se noue dans son fonctionnement pour produire un effet, modifier les conditions d’accès à l’emploi et influencer des parcours professionnels. La formation devient seconde. L’identité des acteurs impliqués et la gouvernance sont décisives pour concevoir et mettre en place les conditions de l’alternance. Cet « équipement » particulier du territoire contribue ainsi à le faire exister.

 

Régine MICHAUX

Le partenariat école-entreprise : une construction sociale transférable ?

L’auteure s’appuie sur une recherche qu’elle a conduite dans le cadre d’un master en politique économique et sociale, intitulé : « École entreprenante et entreprise apprenante, ou la rencontre de deux mondes autour de l’alternance ». L’étude s’intéresse à l’ingénierie d’une formation en alternance entre une école technique secondaire et trois entreprises de la région de Charleroi (Belgique). Le caractère innovant de cette expérience tient au fait que, au terme de la sixième année (équivalant à la terminale en France), non seulement les jeunes se voient décerner le certificat d’études secondaires et la qualification obtenue par les élèves de formation initiale, mais ils ont bénéficié d’une expérience de six mois en tant que salariés de l’entreprise, et y ont pour la plupart signé un contrat de travail à durée indéterminée.

 

Mokhtar KADDOURI

Écarts épistémiques et écarts identitaires de l’alternance

La question de la rupture et de la continuité est alimentée par l’existence de deux écarts inhérents aux formations par alternance. Le premier écart est épistémique, entre situations de formation et situations de travail, car le contenu des premières est par principe très standardisé au vu de l’immense variété des contenus des secondes. Le deuxième est identitaire, il résulte de la pluralité des figures professionnelles qui sollicitent l’affiliation de l’apprenant, et par là même, génèrent en lui une série de tensions inter et intrasubjectives. Ces écarts constituent-ils des opportunités ou, au contraire, des obstacles pour l’apprentissage ? Faut-il chercher à les réduire ou, au contraire, accompagner l’apprenant à tirer parti des tensions et des incertitudes qu’ils génèrent en lui ? L’auteur fait l’hypothèse que, loin de s’ériger en obstacles, les écarts des formations par alternance constituent, sous certaines conditions, une véritable opportunité structurante de l’apprentissage.

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